La Nécrophilie Colonialiste Altericide (NCA) Au Brésil version française Publié à l’origine dans Grand Angle

La Nécrophilie Colonialiste Altericide (NCA) Au Brésil

Publié à l’origine dans Grand Angle – vers une réflexion Libertaire: http://www.grand-angle-libertaire.net/la-necrophilie-colonialiste-altericide-nca-au-bresil/

 

Par Wallace de Moraes

 

Résumé : Face au contexte de la pandémie du Covid-19, je précise la position du gouvernement fédéral brésilien, contraire à l’isolement social horizontal, faisant partie de la nécropolitique. À partir de la symbiose de ce concept avec celui du colonialisme et faire l’autre inférieur, je propose la catégorie Nécrophilie Colonialiste Altericide (NCA), dont l’objectif est d’exprimer une sensibilité très claire envers la mort de Noirs, de peuples autochtones, de pauvres et de leurs personnes âgées. Le Nécro-État et le libéralisme économique constituent le pire des mondes pour les nouveaux quartiers d’esclaves et les forêts brésiliennes. Il s’agit d’une interprétation libertaire.

« Nous, peuples autochtones, savons très bien ce que c’est que de faire face à des maladies qui viennent de loin, sans guérison, même avec nos médicaments traditionnels. Nous tous qui vivons aujourd’hui, sommes les survivants d’innombrables épidémies qui ont anéanti des peuples entiers et détruit tant d’autres. Nous sommes aujourd’hui la résistance à tout ce qui nous a frappé et nous frappe, résultat de notre force pour nous relever après chaque chute. Nous sommes ceux qui ont insisté à rester debout et assumer qui nous sommes et nous ne lâcherons jamais. Puisse Ñawêra nous indiquer le chemin et nous protéger dans cette nouvelle tempête. Force guerrières et guerriers ! »
Kandú Puri et Kaê Guajajara

« La viande la moins chère du marché est la viande noire
Seul un aveugle ne le voit pas
Qui va gratuitement à la prison
Et sous le plastique
Et c’est gratuit pour le sous-emploi
Et hôpitaux psychiatriques
La viande la moins chère du marché est la viande noire
(…)
Qui a fait et fait l’histoire
Tenant ce pays par le bras, mon frère
Le type qui n’a pas de révolte
Parce que le pistolet est déjà armé
Et le vengeur… »
Marcelo Yuka, Seu Jorge e Ulisses Capelletti (auteurs-compositeurs)
Cette chanson a été marquée par la voix d’Elza Soares

Le 7 mai 2020, le président de la République du Brésil, Jair Bolsonaro, a entrepris de marcher à pied, avec ses sympathisants et certains des plus importants hommes d’affaires du pays, jusqu’à la Cour Suprême Fédérale (STF). Son objectif était d’exiger la fin de l’isolement social et le retour à la normalité économique. Il visait aussi à renverser la décision de la Cour Suprême Fédérale selon laquelle les États et les municipalités ont le pouvoir de fermer les commerces et de restreindre la circulation. Pas satisfait, il a publié en fin d’après-midi un décret qui incluait les activités de construction civile et industrielle dans la liste des services essentiels. Le 11 mai, il y a ajouté les académies sportives, les coiffeurs et les barbiers. Mais au Brésil, la plus grande majorité des personnes mourront sans jamais avoir eu accès à un service aussi « essentiel » qu’une salle de gymnastique!

Pendant ce temps, certains téléjournaux, qui ne font pas partie de la liste des partisans inconditionnels du gouvernement, révélaient que les hôpitaux étaient débordés dans plusieurs États de la fédération et que plusieurs personnes mourraient à cause de l’absolu manque d’équipement et de lits. Le Brésil compte déjà plus de 11 mille décès officiels en cette date et différents experts indépendants sont parvenus à un consensus selon lequel ce nombre est infiniment plus élevé ; certains présentent des recherches qui indiquent que c’est 12 fois plus élevées, simplement parce que la plupart des personnes décédées n’avaient pas fait de tests pour la Covid-19. Ce qui est certain, c’est que les cimetières des grandes villes sont débordés et font des enterrements collectifs dans des fosses avec les cercueils côte à côte. Au début, ils étaient simplement enterrés les uns sur les autres…

Le 8 mai, afin d’affronter ceux qui défendent l’isolement social, le président a annoncé qu’il organiserait, chez lui, une fête avec 30 invités et un match de football. Ce n’était pas la première fois. Dès le mois de mars, il participe à des rassemblements et à des marches avec ses partisans. Le chef d’État brésilien a déjà changé de ministre de la Santé deux fois en moins d’un mois, en raison de différends au sujet de l’isolement social et de l’utilisation de la chloroquine. Le 28 avril, interrogé sur l’augmentation des décès, il a répondu : « Et alors ? Que voulez-vous que je fasse ? Je suis le Messias (Messie), mais je ne fais pas de miracles ». Le 29 avril, il a soutenu : « Tout le monde mourra un jour ». Le 23, il a dit : « Nous ne pouvons pas en faire plus que ce que nous faisons déjà ». Sa base sociale, composée principalement des fidèles de l’église, de militaristes et de gros hommes d’affaires, continue d’être solide. Pour cette raison, ses discours mentionnent toujours Dieu, les guerres et le libéralisme économique. Alimenté par une industrie de fausses nouvelles et d’une fausse Histoire et par le déversement de centaines de messages diffusés quotidiennement, ses militants préconisent un auto-coup d’État qui fermerait le Congrès et la Cour suprême pour que le président puisse gouverner à sa guise. Le fait est que nous vivons au Brésil une campagne électorale permanente menée par les partisans du président.

Pour mieux comprendre ces attitudes lors de la pandémie du Covid-19, il est nécessaire de revenir sur certains éléments fondamentaux de l’histoire brésilienne, en soulignant le rôle joué par les militaires, les membres des églises et les capitalistes (base sociale de Bolsonaro). Il sera également important de parler de la discrimination dont souffrent les Noirs, les autochtones, les pauvres, les personnes âgées, la communauté LGBTQIA + et les femmes indépendantes. Une dernière mise en garde s’impose. Bolsonaro a été élu avec un peu plus de 1/3 des voix des électeurs. En effet, les taux d’abstention et de votes nuls au Brésil sont extrêmement élevés en raison d’une profonde méfiance à l’égard des partis politiques et des institutions représentatives. En conséquence, en principe, ses partisans ne constituent pas la majorité de la population brésilienne. Il est également important de savoir qu’il était capitaine de l’armée et prétend être évangéliste. Approfondissons notre analyse.

De par leur profession, les militaires ne doivent pas ressentir de l’aversion à l’idée de tuer des gens. Au contraire, ils sont formés pour cela. Des hommes comme notre président ne savent que tirer sur tout ce qui bouge. Son symbole de la campagne électorale était d’ailleurs une arme qui tirait vers plusieurs côtés, notamment sur l’éducation publique de qualité. Dans une chaîne de radio et de télévision nationale et dans des interviews sur la pandémie, il a ainsi affirmé que « Le Brésilien doit être l’objet d’études. Il n’attrape rien du tout. Vous voyez le gars sauter dans des égouts et en sortir, et plonger, n’est-ce pas ? Et rien ne lui arrive ». Il a également déclaré que « parce que lui, avait des antécédents d’athlète, il était immunisé contre le virus ». Bref, il se révèle dans ses discours au sujet de la médecine comme un spécialiste qui tue l’ennemi dans des guerres, et non qui sauve des vies. De plus, sur la politique, il dit habituellement que le Parti des travailleurs (PT) de l’ex-président Lula « a établi le communisme au Brésil ». Il démontre un profond manque de connaissance des matières de base du secondaire et confirme qu’il n’a jamais suivi de cours de biologie, de sociologie, d’histoire ou de philosophie. Cependant, il continue de donner son avis sur ce qu’il ne sait pas. Cette position, apparemment naïve, stupide et ignorante, est atroce et cohérente avec la croisade qu’il mène contre ses ennemis (imaginaires et réels).

Son slogan « un bon bandit, c’est un bandit mort », ne s’applique pas à n’importe quel bandit. Il ne propose pas de tuer l’homme d’affaire-bandit qui ne paye pas d’impôts, surexploite ses travailleurs et harcèle ses employés, ni le banquier-bandit qui accumule des bénéfices records chaque trimestre en facturant des intérêts absurdes sur des prêts dégradants à des travailleurs et aux personnes vulnérables. Il ne propose pas de tuer le bandit-politique qui vend son vote aux grands capitalistes au détriment des intérêts des gouvernés, qui fait du lobbying au Congrès en faveur du capital (national ou étranger), qui vole l’argent des repas des écoles publiques, qui « contrôle » les fonds de la santé, de l’éducation et de la recherche scientifique, qui autorise une augmentation du prix des transports publics supérieure à l’inflation. Il ne propose pas de tuer le gangster qui soutient la suppression des droits du travail et ne se soucie pas des droits des personnes âgées qui sont obligées de travailler plus longtemps afin que l’État puisse exempter certains groupes d’entreprises de payer des impôts. Il ne propose pas de tuer le ministre-hors la loi qui refuse d’imposer les grosses fortunes, ce qui ralentit le soutien social en période de la Covid-19, qui dépense des milliards de la banque centrale pour contenir la hausse du dollar, garantissant des rachats pour certaines entreprises « éclairées » Dans un pays avec 32 millions de personnes misérables. Il ne propose pas de tuer l’entrepreneur-bandit qui s’approprie la voie publique et y construit des péages aux coûts absurdes. Encore moins les prospecteurs-bandits qui détruisent les forêts, les rivières, la faune, la flore et la vie de milliers d’indigènes. Ni même le policier-bandit qui tue les Noirs, les pauvres et les habitants des bidonvilles sous prétexte de se défendre. Il ne propose pas de tuer le paramilitaire-bandit qui impose le couvre-feu, la terreur et tue en série dans les bidonvilles. Même les pasteurs-bandits qui discriminent les LGBTQIA +, les autres religions, discréditent la science et font fortune avec la bonne foi des autres. Il ne propose pas de tuer les fils-bandits soupçonnés de diriger l’industrie des fausses informations dans le pays et d’avoir des liens étroits avec les paramilitaires.

Le méchant que le président veut tuer est bien connu : il vit dans des bidonvilles, dans les périphéries et dans les forêts. C’est un double désir de mort, raciste et classiste. Son amour pour la mort est colonialiste, puisqu’il cherche à anéantir les populations indigènes, les Noirs, les pauvres et leurs descendants. Nier la délimitation des terres indigènes et quilombolas et permettre la destruction de la forêt amazonienne en vue de favoriser les mineurs, les éleveurs et l’agro-industrie en général en sont des preuves incontestables. Son mutisme suite à l’assassinat de Marielle Franco, et aux meurtres quotidiens de leaders indigènes et de milliers de Noirs et de pauvres, participe de la mécanique d’une pure politique de mort raciste. Il s’agit de la plus authentique nécropolitique, car le président exerce son pouvoir souverain non seulement pour laisser tuer les symboles de ce qu’il méprise et déteste, mais pour favoriser ces mises à mort. Souvent, son silence est assourdissant, mais il encourage la plupart du temps le meurtre de l’autre par des « fake news » sur les réseaux sociaux. Il exprime en réalité le caractère intolérant de toute une élite gouvernementale, rassemblant tous les préjugés religieux, militaristes et conservateurs. En bref, les Noirs, les indigènes, les militants politiques, les socialistes, les femmes indépendantes, les habitants des favelas, les rebelles, les LGBTQIA + sont considérés par lui comme des bandits-ennemis et il met en pratique, contre eux, sa Nécrophilie Coloniale Altericide (nous l’expliquerons plus loin).

Frantz Fanon expliquait bien que le porte-parole du colonisateur dans les colonies est le soldat, le militaire. Il est conseillé au colonisé de ne pas bouger sous les coups de crosse, les gifles et les coups de feu. C’est le langage de la pure violence, militariste dans son essence. « L’intermédiaire n’allège pas l’oppression, ne voile pas la domination. Il les expose, les manifeste avec la bonne conscience des forces de l’ordre. L’intermédiaire porte la violence dans les maisons et dans les cerveaux des colonisés » (Fanon, 1968, p. 42).

La politique menée par les métropoles dans les colonies présente des ressemblances avec celle actuellement utilisée dans les bidonvilles, les zones périphériques et les forêts du Brésil. Ces espaces sont des zones colonisées, les nouvelles colonies, à commencer par leurs habitants, la grande majorité des Noirs, les indigènes et leurs descendants. Peu importe pour les colonisateurs et leurs capitaines — les intermédiaires — que meurent les nouveaux colonisés. Dans cette perspective, les colonisés sont des êtres inférieurs, au même niveau des animaux, des sous-humains (hooks 2019; Krenak, 2019; Kopenawa & Albert, 2019; Ramose, 2015; Nascimento, 2019; Fanon, 1968; Morrison, 2019; Césaire, 2010). En conséquence, la vie des esclaves est celle de morts-vivants (Mbembe, 2018).

Dans les communautés, il n’y a pas la présence de l’État pour assurer des conditions de vie décentes, les droits fondamentaux à la santé et à l’éducation, l’emploi et l’assistance sociale. La principale action de l’État est menée par les forces de répression. La police tue, arrête, torture et reçoit le pot-de-vin de l’ami-trafiquant. Mais ce n’est pas non plus exact de dire que seul le bras armé des forces de l’ordre est apparent. L’État est également présent dans la perception des impôts obligatoires lors de l’achat de tout produit ou service légal. Ainsi, l’État pratique dans les favelas à la fois la répression et l’extorsion. Comme dans ces nouveaux quartiers d’esclaves il n’y a aucune rétribution sous forme de services de base et l’État n’y pratique que le vol et la violence. La présence de l’État dans ces communautés constitue la matérialisation la plus significative du pouvoir souverain de décider qui peut mourir, de la nécropolitique. Rien de bien différent du rôle impérialiste joué par l’État dans les colonies d’Afrique, des Amériques et d’Asie. Rien de différent des villages communaux en Europe sous le joug de la royauté pendant le Moyen Âge et l’Âge Moderne :

« La ville du colonisé, ou du moins la ville indigène, le village nègre, la médina, la réserve est un lieu mal famé, peuplé d’hommes mal famés. On y naît n’importe où, n’importe comment. On y meurt n’importe où, de n’importe quoi. C’est un monde sans intervalles, les hommes y sont les uns sur les autres les cases les unes sur les autres. La ville du colonisé est une ville affamée, affamée de pain, de viande, de chaussures, de charbon, de lumière. La ville du colonisé est une ville accroupie, une ville à genoux, une ville vautrée. C’est une ville de nègres, une ville de bicots. Le regard que le colonisé jette sur la ville du colon est un regard de luxure, un regard d’envie. Rêves de possession. Tous les modes de possession : s’asseoir à la table du colon, coucher dans le lit du colon, avec sa femme si possible. Le colonisé est un envieux. Le colon ne l’ignore pas qui, surprenant son regard à la dérive, constate amèrement mais toujours sur le qui-vive : « Us veulent prendre notre place. » C’est vrai, il n’y a pas un colonisé qui ne rêve au moins une fois par jour de s’installer à la place du colon » (Fanon, 2002: 42).

Pour empêcher les colonisés de se rebeller et de vouloir prendre la place du colon, qui a été paradoxalement construite par les esclaves eux-mêmes, l’État parfois si menacé décide de placer un militaire pour commander, et protéger le statu quo. Ce fut le cas de Napoléon Bonaparte après la Révolution française et ici, au Brésil, en 1964. Les exemples sont nombreux. Nous connaissons déjà ces histoires. L’État dans les colonies n’est pas n’importe quel État, mais un état de mort, de prison, de torture, de contrôle sur les colonisés. C’est donc un nécro-état. Sa consolidation ne s’est pas produite uniquement sous le capitalisme, comme certains le soutiennent.

Pour les anarchistes, toute formation historique de l’État a eu comme essence le militarisme et le meurtre du rebelle, de l’insoumis, de l’esclave, du serviteur, du travailleur, par la mort physique ou la prison, une nécropolitique (pour utiliser un terme correspondant à notre situation). Bakounine a rappelé que l’État n’admet pas d’autre État à l’intérieur de ses frontières. L’État n’admet pas à l’intérieur de ses frontières un révolutionnaire suffisamment fort pour lui faire peur. Il n’admet pas qu’un Noir ou un indigène autonome n’attende pas de lui sa bénédiction quotidienne.

Néanmoins, cet État vit parfaitement avec les paramilitaires, dont les unités sont généralement composées de militaires et d’anciens militaires au service de puissants politiques, propriétaires terriens, chercheurs d’or. Au Brésil, la proximité est si étroite que certains d’entre eux ont été décorés à l’Assemblée législative de Rio de Janeiro par un fils de l’actuel président de la République, alors qu’il était député. En bref, le militarisme officiel a généralement ses paramilitaires pour faire le plus sale boulot, ou compte sur son consentement pour commettre des actes lâches contre les bandits-ennemis en faveur des bandits-amis. C’est la nécropolitique en faveur de la nécrophilie.

Ces exemples ne concernent pas seulement les États colonialistes et capitalistes européens, ni les États soi-disant socialistes qui ont pratiqué la nécropolitique en abondance. Ils ont tué des milliers d’anarchistes et de gens du peuple qui voulaient la liberté et ne se soumettaient pas aux injonctions du parti qui commandait. Les États africains, asiatiques et américains, même lorsqu’ils ont été dirigés par des autochtones, ont également terrorisé leurs gouvernés. Tous les modèles anciens, médiévaux et modernes d’autorité et de hiérarchie de quelques-uns sur la communauté ont été également des prototypes de nécro-états. Les nécro-États capitalistes tuent et emprisonnent tous ceux qui attaquent l’institution qui définit l’inégalité et qui est sacrée pour les libéraux : la propriété privée, qui malheureusement est partout au-dessus de la vie. Dans les nécro-états européens et nord-américains, les cibles préférées étaient les rebelles, principalement des anarchistes, des insoumis qui ont tué des centaines de têtes dirigeantes lors de la transition du XIXe au XXe siècle. L’Interpol a été créée précisément à cette époque pour chasser les anarchistes du monde entier. Plusieurs de ces révolutionnaires, ennemis mortels de chaque État, ont été assassinés par le militarisme et le paramilitarisme internationaux. Le nazisme n’était que l’application en Europe de ce qui avait été fait dans les colonies pendant des siècles, constituant la relation maximale entre le militarisme et les paramilitaires.

Cependant, le nécro-État colonialiste fut absolument cruel, car il était doté d’une nature raciste lâche et envahissante, dans laquelle l’« autre » n’avait pas de statut humain. Il était considéré comme un animal. Dans la perspective idyllique libérale, on tuait, emprisonnait, fouettait une bête.

Tous les nécro-États ont pour fonction de garantir les intérêts des amis bandits, c’est-à-dire des riches propriétaires, et c’est pourquoi leurs gouvernements sont ploutocratiques. Mais il ne suffit pas de légaliser une ploutocratie néolibérale sans vergogne (De Moraes, 2019). Il ne suffit pas d’être gouverné par un capitaine. Il ne suffit pas de limiter l’espace des colonisés par la police et les paramilitaires. Selon Fanon (1968), il faut faire du colonisé la quintessence du mal. Ce processus se produit avec la dévalorisation de la culture, des vêtements, des mythes, des religions et de tout ce qui le rend unique. De plus, l’association avec les colonisés représente la perversion, la dépravation, l’hérésie. Les églises-entreprises-spirituelles jouent un rôle fondamental dans ce processus de « diabolisation » de la culture colonisée dans sa croisade contre la science. En agissant ainsi, ces églises-entreprises-spirituelles, le militarisme et les dirigeants en général envoient également un signal aux dirigeants blancs qui doivent suivre leurs valeurs « supérieures » et se sentir comme faisant partie de la même culture, de la même église-entreprise, militariste, statolâtrique, autoritaire, hiérarchique, narcissique et distillant une haine profonde contre les gens différents. Pour cela, le fascisme et le libéralisme économique sont leurs idéologies parfaites, car elles justifient à la fois une prétendue supériorité de la race et de la classe basée sur un nationalisme « aryen » (nazisme classique) ou une communauté imaginée (Anderson, 1991) qui dans son ensemble justifie la subordination et l’exploitation des colonisés, ouvriers, serfs, salariés ou non.

Ici au Brésil, les favelas sont les nouveaux quartiers des esclaves et les capitaines chasseurs d’esclaves continuent à poursuivre, arrêter et tuer partout les Noirs, les peuples autochtones et les pauvres. Ceux-ci ne sont acceptés que s’ils savent rester dans leur lieu de colonisation et de silence : dans la cuisine et dans la plantation. « Restez à votre place ! » est la devise qui ne nous quitte pas. Quiconque parmi nous se mettra en colère sera fouetté, arrêté, torturé, assassiné. Nous ne sommes tolérés que si nous obéissons, flattons, produisons de la richesse, nettoyons la maison, livrons de la nourriture, en un mot, si nous sommes gouvernés par vous. La logique reste la même. Les pires emplois nous sont réservés, nous sommes pratiquement destinés à laver les salles de bain, cuisiner, servir dans les centres commerciaux. Nous avons continué dans les champs, conduisant des autobus, ramassant des ordures, livrant des lettres, vendant des bibelots dans les rues, en tant que livreurs d’applications. Depuis les lois foncières de 1850, nous sommes devenus des chômeurs permanents afin de pouvoir accepter les emplois les plus dégradants : les « Bullshit Jobs » (David Graeber). Ils se plaignent quand nous sommes des voleurs et font semblant de ne pas savoir pourquoi. Pire, ils disent toujours que c’était une option, car « si vous voulez travailler, vous avez beaucoup d’emplois par-ci par-là». C’est un mensonge, espèce de…! Nous sommes toujours considérés comme inférieurs, peu importe si nous avons des diplômes de doctorat, cela ne sert à rien, nous sommes subordonnés. Nous ne serons jamais lus, débattus, cités comme les blancs.

La façon dont la pandémie du nouveau coronavirus est en train d’être traitée par le gouvernement fédéral est semblable au style d’un représentant de la métropole, une nécropolitique mise en œuvre par un nécro-État, avec un Napoléon à sa tête par dirigée et soutenue — comnme par hasard — par des militaires, des paramilitaires, des églises-entreprises-spitituelles, des libéraux économiques, des flatteurs d’Hitler et des bandits-amis et menant à la mort des colonisés et des bandits-ennemis.

En ce moment, il faut théoriser au sujet de cette nouvelle situation. Peu après l’arrivée du virus au Brésil, j’ai abordé l’incapacité du libéralisme économique à sauver des vies (Moraes, 2020). Le moment est venu pour une contribution philosophique. Dans ce qui suit, je présenterai un concept pour mieux caractériser la position de ceux qui gouvernent face au COVID-19.

 

Colonialisme, nécropolitiques et altérisation

Pour mieux présenter le concept de Nécrophilie Coloniale Altericide (NCA), il est nécessaire de comprendre à partir de quelles références il est forgé. Comprenons donc ses catégories fondatrices : colonialisme, nécropolitique et altérisation.

Le colonialisme était une pratique capitaliste, entrepreneuriale, soutenue et financée par différents États européens (royaumes). Alors que la Couronne et ses entrepreneurs ont pris la majeure partie de l’argent, les militaires et les paramilitaires ont joué le sale rôle, car ce sont eux qui ont mené, conquis, humilié, asservi, torturé et tué les colons, les sous-humains. C’était un système strictement raciste en idéalisant l’idée de race (Morrison, 2019) et de couleur pour les « autres », en attaquant les Africains (noirs), les Indiens (rouges), les Asiatiques (jaunes). Le seul qui n’avait pas de couleur était le blanc. Pour contrer cette simple idéologie, Dupuis-Déri (2019) propose d’appeler les Européens et leurs descendants les « beiges », car en fait, ils n’ont pas eux non plus la peau blanche de la couleur d’un nuage, qui cherche sans cesse à donner l’idée de pureté, de propreté et d’identité raciale.

L’entreprise colonialiste a été soutenue idéologiquement par des fidèles qui ont justifié les atrocités contre des gens qui « n’avaient pas Jésus dans leurs cœurs ». L’affirmation, à l’époque, qu’« ils n’avaient pas d’âme » était appuyée, aussi incroyable que cela puisse paraître, par la Bible, un livre également raciste, comme le rappelle Fanon (1968). En résumé, le colonialisme fut une pratique de mort capitaliste, autoritaire, violente, raciste, disciplinaire, sous la bénédiction supposée des représentants de Dieu, dirigée par le nécro-état et menée par les militaires. En bref, cinq mots traduisent le colonialisme : racisme, étatidolatrie, capitalisme, église et militarisme.

Achille Mbembe (2018) nous a apporté le concept très efficace de nécropolitique. Son objectif est d’analyser la combinaison des catégories de biopouvoir (Foucault) et de souveraineté et état d’exception (Schmitt). La nécropolitique désigne donc la capacité du souverain à définir qui doit mourir et qui doit vivre. Tous les États fonctionnent à partir du droit de tuer. L’« autre » doit être éliminé lorsqu’il menace le pouvoir politique du souverain ou le pouvoir économique de ses protégés. Ses objectifs sont :

« faire que les différentes manières par lesquelles, dans notre monde contemporain, les armes à feu sont disposées dans le but de provoquer une destruction maximale de personnes et de créer des « mondes de la mort», des formes uniques et nouvelles d’existence sociale, dans lesquelles de vastes populations sont soumises à des conditions de vie qui leur donnent le statut de “mort-vivant” » (Mbembe, 2018: 71).

Cette pratique de tuer l’autre est conforme à ce que Toni Morrison (2019) a appelé otherization (altérisation) pour exprimer comment l’esclavagiste est psychologiquement convaincu de sa distinction naturelle et divine par rapport à l’esclave. De cette façon, il se sent autorisé à commettre des actes lâches tels que torturer, violer, fouetter et tuer. Il s’agit donc de l’utilisation du justificatif divin, donc, église-entreprise-spirituelle, qui nie la science, et l’existence sous-jacente de races différentes. L’altérisation (otherization) a besoin de créer l’autre, l’étranger, en établissant une relation directe avec l’idée de nationalisme. Cependant, ce concept dépasse le nationalisme, car il voit l’autre à partir de l’invention de l’idée de race (supposément scientifique, mais certainement sociale, politique, culturelle et économique). En d’autres termes, la race est une invention, mais non pas le racisme, qui est donc la conséquence de quelque chose qui n’existe pas.

Alors que les concepts de colonialisme, de nécropolitiques et d’autres formes d’identification de l’autre identifient diverses actions arbitraires menées par les gouvernements, les hommes d’affaires, les colonisateurs, les militaires, les paramilitaires, les membres des églises-entreprises, etc. contre les peuples colonisés, la philosophie politique anarchiste peut non seulement contribuer à affiner les critiques de ces institutions, car elles font partie de son ADN, mais aussi trouver des solutions pour surmonter ces actions racistes. Parmi les concepts anarchistes qui peuvent contribuer à vaincre la société raciste, on retrouve:

a) action directe – réalisation d’actes par les parties intéressées, sans recours à des intermédiaires. Elle est directement reliée à l’idée d’autonomie, d’indépendance, annulant ainsi le besoin de représentation politique, économique, etc.;

b) révolution sociale – lorsque les exploités détruisent l’État et toutes les institutions qui les subjuguent, les tuent et les torturent, les empêchant de bien vivre sur leur terre. Son application vise à détruire tout ce qui empêche l’émancipation des gouvernés, qui doivent prendre en charge leur propre vie et ce qu’ils produisent;

c) la propriété collective des moyens de production – l’une des premières étapes de la conquête des colonisateurs consiste à s’emparer de la terre des colonisés, et à les transformer en propriété privée, en faisant du colonisé aussi sa propriété et à travailler sur cette terre, avant la sienne, pour enrichir le patron, nouveau seigneur, souverain économique. L’anarchisme propose la fin incontestable de toute propriété privée des moyens de production, qui ne doit pas appartenir à aucun État, mais aux travailleurs eux-mêmes. Ainsi, les terres resteraient collectives, permettant de pratiquer les principes du communalisme africain et des villages indigènes tels qu’ils étaient avant le colonialisme.

d) L’autogestion – signifie l’indépendance dans tous les aspects de la vie. Il sert parfaitement à légitimer l’autodétermination des peuples. Mettre fin à l’autonomie gouvernementale a été la première action des colonisateurs en voie de domination. La reprise de l’autogestion doit être l’objectif principal des communautés colonisées.

e) L’anti-théologie et l’anti-militarisme typiquement anarchistes aident à libérer les gouvernés des idéologies qui nous ont asservis, en proposant de mettre fin à l’oppression physique et psychologique que ces institutions nous affectent avec leurs armes et leurs bibles.

f) Entraide, horizontalité, égalité, liberté, abolitionnisme pénal, fédéralisme et le déni des hiérarchies, autorités, gouvernements, nécro-états, prisons qui en découlent sont des contributions anarchistes théoriques qui servent à lutter pour l’émancipation du joug raciste et patriarcal, militariste, des églises-entreprises, économiquement libéral, homophobe, en un mot pour la liberté ! Pour les peuples asservis, aucun mot n’a plus de sens. Ce concept est le plus important pour la pensée anarchiste, le plus préservé, le plus exalté, sans lui il n’y a tout simplement pas d’anarchisme. Bakounine a déclaré « votre liberté porte la mienne à l’infini » et « S’il y a qu’un seul esclave dans la société, alors il n’y a pas de liberté ». S’il n’y a pas de liberté, il est du devoir de chaque anarchiste de lutter pour elle.

Sachez que la liberté de l’anarchiste est absolument différente de la liberté libérale qui dit que « votre liberté prend fin lorsque la mienne commence ». La conception de liberté de l’anarchisme est anticoloniale, elle est collectiviste. La liberté du libéral est individualiste, elle est sélective, elle l’est pour quelques-uns. Pour cette raison, le libéralisme économique n’était pas seulement le carburant du régime esclavagiste sur le plan économique, mais vivait avec lui sans aucune contrainte, justifiant l’asservissement des êtres « non humains » 6. Pour autant, l’anarchisme a beaucoup à apporter à la lutte anticoloniale du passé et du présent. Pour illustrer le lien imminent avec la lutte anti-coloniale, citons l’un de ses théoriciens les plus importants :

« camarade, te seront ennemis […] non seulement gouverneurs sadiques et préfets tortionnaires, non seulement colons flagellant et banquiers goulus, non seulement des macrotteurs politiciens lèche-chèques et magistrats aux ordres, mais pareillement et au même titre, journalistes fielleux, académiciens goîtreux endollardés de sotises, ethnographes métaphysiciens et dogonneux, théologiens farfelus et belges, intellectuels jaspineux, sortis tout puants de la cuisse de Nietzsche […], les paternalistes, les embrasseurs, les corrupteurs, les donneurs de tapes dans le dos, les amateurs d’exotisme, les diviseurs, les sociologues agrariens, les endormeurs, les mystificateurs, les baveurs, les matagraboliseurs, et d’une manière générale, tous ceux qui, jouant leur rôle dans la sordide division du travail pour la défense de la société occidentale et bourgeoise, tentent de manière diverses et par diversion infâme de désagréger les forces du Progrès – quitte à nier la possibilité même du Progrès – tous suppôts du capitalisme, tous tenants déclarés ou honteux du colonialisme pillard, tous responsables, tous haïssables, tous négriers, tous redevables désormais de l’agressivité révolutionnaire » (Césaire, 2010: 46-47).

Que le texte de Césaire contienne toutes les composantes de la théorie anarchiste, ou vice versa, peu importe. La confluence entre les deux est importante. Certes, l’un peut aider l’autre dans la lutte commune : anticolonial, anticapitaliste, anti-étatique, anti-autoritaire, avec la défense de la liberté comme moteur principal.

Sur la base de la symbiose d’arguments au sujet du colonialisme, de la nécropolitique, de l’altérisation et même de l’anarchisme, il est maintenant important de les connecter, de les approfondir et de les actualiser dans le contexte brésilien de la pandémie de la Covid-19. De cette manière, on espère contribuer au débat avec une autre catégorie descendant de celles-ci : Nécrophilie Coloniale Altercidaire (NCA).

 

Nécrophilie Colonialiste Altercidaire (NCA)

Nous pouvons déjà dire que le concept susmentionné est directement inspiré de différentes philosophies et de plusieurs penseurs, à savoir : dans la critique du colonialisme (Fanon, Césaire), dans la nécropolitique (Mbembe), dans l’altérisation (Morrison) et dans la philosophie politique anarchiste (Kropotkine, Bakounine, Dupuis-Déri, ​​Graeber), l’anarchisme noir (Kom’Boa Ervin, Gelderloos), les enseignements des sociétés autochtones (Kopenawa, Krenak, Munduruku), le communalisme africain (Sam Mbah), le quilombisme (Abdias Nascimento) et la symbiose entre l’indigénisme et la négritude (hooks, Parsons).

Pour le cas brésilien actuel et en général, ce n’est pas seulement une décision du souverain de laisser mourir et de laisser vivre (nécropolitique), mais une politique délibérée de mort, une sympathie, un amour pour l’extermination du « paria » de la société, de l’adversaire, de l’« autre », du bandit-ennemi. En ce sens, le concept de nécrophilie est plus approprié, plus clair. Non seulement l’opposé de la biopolitique de Foucault dans le domaine de la régulation de la vie, la notion de nécrophilie cherche à représenter un désir de mort, est pas seulement de régulation de la mort. Cependant, ce n’est pas la mort de n’importe qui. C’est pourquoi cette notion doit être associée au concept de colonialisme.

Il s’agit d’une nécrophilie colonialiste presque hédoniste, car elle prend plaisir à la mort des Africains, des indigènes, des Asiatiques (chinois), des Arabes et de tous leurs descendants de la diaspora qui ne sont pas prêts à servir et qui acceptent difficilement de tenir la place que leur impose la suprématie blanche. C’est donc bel et bien une nécrophilie colonialiste. Le terme colonialiste cherche à marquer que ses cibles principales sont les peuples non européens. Mais ce ne sont pas les seuls à être attaqués.

D’où la nécessité du concept d’altericide, car il désigne pourquoi d’autres « minorités » souffrent du conservatisme ambiant. Ce concept d’altericide désigne la discrimination et la persécution dont sont victimes les « minorités » mais aussi l’amour qu’éprouvent les dominants face à la mort — symbolique, psychologique et physique — des pauvres, des personnes âgées improductives, de la communauté LGBTQIA +, de la femme indépendante, de l’anarchiste, du communiste, du environnementaliste, de l’adepte des religions non juives-chrétiennes, de l’analphabète, de l’handicapé physique, de celui qui menace la propriété des riches.

J’ai rappelé (De Moraes, 2018) que ces processus discriminatoires de gouvernances sociales reposent sur une gouvernance sociale xénophobe, une fièreté patriotique et nationaliste. L’altericide est un narcissisme qui ne reconnaît pas l’« autre » comme digne de respect, ni comme un égal. En fin de compte, cela représente non seulement un manque de respect pour l’« autre », mais un désir d’humiliation, ce qui implique son anéantissement psychique.

Pour que l’altericide règne en toute impunité, il est nécessaire de nier la science émancipatrice et de l’attaquer de toute force, car il existe de cette manière un terrain fertile pour la culture des préjugés, pour la propagation de dogmes qui servent les intérêts de dirigeants obsédés par le pouvoir et le profit, basés sur des Fake News et une Fake History.

Pour abréger, le concept de NCA représente diverses façons d’assassiner littéralement ou psychologiquement des catégories sociales de gouvernés, entre autres les vieux, les Noirs, les indigènes, les pauvres, les femmes, les communautés LGBTQIA +, les analphabètes, les adeptes de religions autres que judéo-chrétiennes, ainsi que l’écologie, les forêts et les animaux et les épistémologies révolutionnaires. La NCA cherche également à critiquer le militarisme, l’église-entreprise, le nationalisme, le capitalisme, le libéralisme économique et le nécro-État – des institutions qui valorisent la pratique du concept, basées sur le déni de l’altérité et le narcissisme orgueilleux xénophobe. Il convient de mentionner un autre problème. La NCA peut attaquer tous ses fronts conjointement, ainsi que de considérer prioritaire une de ses cibles pour un temps déterminé. Pendant la pandémie de la Covid-19, les personnes âgées, les pauvres, les Noirs et les peuples autochtones sont dans le collimateur des nécrophiles.

 

Géronticide dans le cadre de la NCA au Brésil

Nous savons tous que la Covid-19 attaque de manière massive, mais pas seulement, les personnes âgées. L’année dernière, le gouvernement fédéral a approuvé la réduction de leurs droits par le biais d’une réforme des retraites. Non satisfait, le gouvernement est actuellement en conflit avec les promoteurs de l’isolement social. En adoptant cette attitude, il prend sans la moindre gêne la direction opposée à la préservation de la vie de nos personnes âgées, car ce gouvernement préfère que l’économie continue à fonctionner. C’est exactement la thèse défendue par Chomsky (1998) dans l’un de ses livres : « First profit, then people ». Il faut recourir à l’histoire pour comprendre de telles postures, apparemment farfelues, insensées, psychopathes, sadiques, inhumaines, fascistes, colonialistes.

Il est important de présenter ici un argument de plus en vue de situer la NCA. Elle est en parfaite harmonie avec le capitalisme et le libéralisme économique, pour qui il est inconcevable qu’une personne perde sa capacité de production. Ce n’est pas tolérable. C’est déraisonnable. Encore plus si nous concevons que certaines personnes doivent être financées par l’État sans travailler. Les personnes âgées constituent alors une cible principale. Mais pas tous. Le concept de colonialisme permet ici de mieux expliquer qu’il existe une différence fondamentale de race et de classe, entre personnes âgées.

Celles des classes dominantes ne font pas de travail manuel et abrutissant et se portent donc mieux, ont accès aux connaissances scientifiques, mangent de la nourriture de meilleure qualité, bénéficient de ressources supérieures dont la médecine dispose pour prolonger leur bien-être et leur vie. Sans travail manuel et avec tous les soins de santé disponibles, leur perspective de la vie est bien meilleure que celle des personnes âgées pauvres. En conséquence, ils peuvent consacrer plus de temps à un travail productif (en fait, des postes de dirigeants) avec moins de problèmes que le vieux « favelado », le paysan, le docker, l’ouvrier, le concierge, le vendeur de rue, le livreur, en bref, les gouvernés.

Les personnes âgées gouvernées effectuent généralement un travail manuel, ne bénéficient pas de soins de santé qualifiée et ont tous les besoins dont souffrent les peuples colonisés depuis des siècles. Avec l’arrivée de la vieillesse, leur capacité de production diminue progressivement, car elle dépend beaucoup plus de la force physique. C’est la loi de la vie. Mais le capitalisme s’en préoccupe peu, car il vise une augmentation régulière de la production. Ainsi, les dirigeants économiques préfèrent embaucher un travailleur plus jeune avec une plus grande capacité de production. Il en résulte un taux de chômage très élevé dans les couches sociales âgées. Pour aggraver les choses, certains survivent grâce à l’argent de la sécurité sociale publique, qui du point de vue du libéralisme économique (Nozick, Hayek et notre ministre de l’économie) représente un fardeau inutile pour les coffres de l’État. De cette façon, le retraité méprisé n’a aucune valeur et apparait comme de trop, une cible centrale de la NCA. Les personnes âgées (noires et indigènes) qui occupent normalement la partie productive de la main-d’œuvre sont les principales cibles de ce système.

Cette attitude a une histoire, une origine. Les sociétés traditionnelles indigènes, africaines et asiatiques accordaient une très haute valeur aux anciens, à leurs ancêtres, à cause de leur sagesse, de leur maîtrise des traditions et de l’histoire du peuple lui-même. Ils étaient donc leurs leaders naturels et largement respectés (Sam Mbah, 2019; Kopenawa & Albert, 2019; hooks, 2019; Krenak, 2019; Nascimento, 2019). Ce n’était pas bien différent au Moyen Âge en Europe, dans la multitude de communes (Kropotkine, 2000).

Mais tout a changé avec l’approfondissement de la domination politique de l’Église (soutenue par les militaristes, c’est-à-dire la noblesse). Dès lors, ces ancêtres respectés qui n’ont pas voulu accepter la « vérité» chrétienne et se soumettre aux diktats du pouvoir royal ont été considérés comme des païens, des sorcières et des hérétiques, interrogés, torturés et brûlés (Hoffner, 1973; Federici, 2017). Ce processus visant à mettre fin au savoir populaire, communautaire et anti-institutionnel en Europe a irradié et s’est étendu au reste du monde sous le nom de colonialisme et d’impérialisme.

L’église-entreprise et le militarisme ont exporté l’obscurantisme patriarcal « divin » pratiqué en Europe, en plus d’une plus grande violence raciste. Sous la domination européenne dans les colonies, les personnes âgées, une ressource de la sagesse de leur peuple, ont été rapidement rejetées. Les seigneurs ne s’intéressaient pas à garantir leur vie. Ils étaient souvent jetés à la mer, pendus ou laissés dans les caves pour mourir. Leur culture était même considérée comme un danger pour la colonisation. Il fallait l’anéantir, car un peuple sans connaissance de son histoire est plus facile à dominer, à subjuguer, à asservir.

Aujourd’hui, pendant la pandémie, le manque de souci concernant l’isolement social, comme on le sait, met en danger la vie des personnes âgées pauvres, ce qui ne signifie que la répétition d’une logique coloniale parfaitement assortie au virus du libéralisme économique. La personne âgée a le statut de l’« autre ». C’est donc une posture de la NCA qui tue préférentiellement, au Brésil, les Noirs, les indigènes, leurs descendants et leurs vieillards, considérés comme des parias, jetables, improductifs, un gaspillage de charges sociales. Il n’y a aucun problème si vous mourez d’une « légère grippe » (comme a dit le président du Brésil). Les slogans nécrophiles typiquement colonialistes sont : « Le Brésil ne peut pas s’arrêter » (slogan de la campagne médiatique bolsonariste) et « l’isolement vertical » en opposition à l’idée d’isolement social horizontal défendue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Quelques milliers vont mourir, mais… l’important, c’est faire marcher l’économie pour faire plaisir aux bandits-amis. C’est la même pensée qu’un général au front. Il sait que des milliers de soldats de première ligne seront liquidés, mais l’important est de rester ferme face à l’ennemi. La vie de ces soldats n’a aucune valeur. Mais certains ne peuvent pas mourir : le général, le président, l’évêque, le pasteur, le banquier, l’homme d’affaires. Le reste, peu importe, ce sont les « autres », d’où l’altericide. La vie sous régime militaire a des valeurs différentes. Si nous incluons le facteur colonialiste, nous savons que certaines vies ont encore moins de valeur.

En conséquence, il existe au Brésil, dans le passé, une nécrophilie colonialiste pratiquée et soutenue par des militaristes, des paramilitaires, des capitalistes, des églises-entreprises, des racistes, dont les principales cibles, des chasseurs d’esclaves aux capitaines du Plateau, sont les bandits-ennemis : les indigènes, les Noirs, les pauvres et les personnes âgées.

Wallace de Moraes

Traduction de “A Necrofilia Colonialista Outrocida (NCO) No Brasil”, Portal Anarquista, 17 juin 2020, https://colectivolibertarioevora.wordpress.com/2020/06/17/a-necrofilia-colonialista-outrocida-nco-no-brasil1/

 

Wallace de Moraes, universitaire et chercheur brésilien, est professeur au département de science politique de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro et chercheur à l’Institut national de science et technologie en politiques publiques, stratégies et développement (Instituto Nacional de Ciência e Tecnologia em Políticas Públicas, Estratégias e Desenvolvimento-INCT/PPED).

 

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